J’ai raté la photo

Il me reçoit dans la salle à manger de sa maison, sa femme prépare le café et offre les gâteaux. On parle chantier. Il y est entré en 56, il avait 14 ans. Il me montre son marron, le badge qui servait à pointer. Je découvre, collée dessus, la photo d’un petit gars, un enfant. Entré comme mousse puis  devenu traceur de coque, un métier noble. Plans tracés grandeur nature sur un grand parquet en bois. Une salle immense. Il se souvient, raconte. Le froid mais le salaire intéressant et cette fierté d’appartenir à la navale. J’écoute, je note, je regarde le gamin sur le badge et je rate la photo. Décidément, Saint-Nazaire m’impose souvent du flou. Il raconte la croisière sur le France offert par les gars au moment de la retraite, et la fierté quand le commandant le présente aux autres voyageurs et exprime sa joie d’avoir un des bâtisseurs à bord. Il raconte les grèves de 67, deux mois sans reprendre le boulot, la solidarité entre les ouvriers. Il raconte aussi les problèmes d’alcool, la centaine de cafés dans la rue de Trignac vers les chantiers, quartier Penhoët. La paye touchée en liquide et dépensée en liquide. Il raconte des histoires qui ne sont pas tout à fait inconnues, mais qui, dites-là avec la photo du petit mousse posée devant soi, ajoute un réalisme qui bouleverse. On parle encore du France, des méthaniers et des nouveaux paquebots, toujours plus grands, des buildings flottants qui trimballent plus de 3000 touristes. Moins de gueule c’est sûr : Oui, mais, ça a ramené le boulot à Saint-Nazaire. 

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